Chroniques de mariage

L’histoire de la demande [2]: les demandes avant la demande

Un article de Mlle Carpe

Avant de faire notre demande mutuelle, nous voulions nous assurer du soutien de nos proches. De mon côté, ma mère m’avait toujours tannée pour qu’on lui demande ma main « en bonne et due forme ».  De son côté, je voulais que ce projet soit accepté par les enfants de Monsieur Lapin.

L’annonce aux enfants

Nous ne voulions pas demander une bénédiction aux enfants, mais les accompagner et les rassurer quant à la stabilité de leur place dans la vie de leur papa, malgré le renouvellement de sa vie conjugale.

Il me faut préciser quelque chose de Monsieur Lapin : sauf avec moi, parler de ses émotions lui est quasiment impossible. Plus il aime, plus il se tétanise. Lors de nos premiers rendez-vous, nous avions passé un pacte : il m’aidait pour finaliser mes études, je l’aidais avec les enfants. Pacte que nous avons tenu jusque-là. Il a corrigé des pages et des pages d’orthographe (c’est lui qui relit mes chroniques sans lesquelles tu subirais ma dysorthographie chronique) et j’ai organisé quantité de repas pour multiplier les occasions de faire du lien. J’ai d’ailleurs instauré la « raclette d’anniversaire » avec les oncles, les grands-parents, etc !

C’est donc à la fin d’un repas du dimanche, après une discussion avec l’ainée, que nous avons annoncé l’évènement. Ça n’a pas donné lieu à une grande liesse, mais ça a été pas trop mal pris, sur le coup. Il a fallu par la suite quelques longues discussions entre Monsieur Lapin et ses enfants, notamment à propos de notre différence d’âge, pour qu’ils partagent notre enthousiasme et acceptent de m’accueillir pleinement dans la famille. Aujourd’hui, c’est chose faite et je suis une belle-mère totalement comblée.

La demande à ma mère  

Ma mère me tannait donc pour qu’on lui demande ma main.  Non qu’elle soit une femme empêtrée de traditions désuètes (encore que), mais elle est surtout une incorrigible romantique. Elle a grandi en écoutant Brel et d’autres crooners qui répètent que l’amour, alalala, c’est beau. De fait, si son ainée se marie, elle compte bien avoir son comptant de magie et de paillettes.

Direction mon sud natal pour voir la mia madre.

Oui, ça se passe en Provence au milieu des moutons, dans le Sud de la France au pays des santons, lalalalala lalala lala.
Crédit : rdlh sur Pixabay

Après deux heures de route à écouter la Blanche Hermine en boucle, j’arrive enfin dans ma maison d’adolescence. Comme toujours, je saute dans les bras de ma mère, l’embrasse de tout mon cœur. Puis, d’un air d’enfant ravie, je lui tends la superbe tarte poire chocolat que nous avions pris soin d’acheter dans la délicieuse petite pâtisserie qui fait l’angle de notre rue.

Pendant ce temps d’embrassades mère-fille, Monsieur Lapin en profite pour cacher la bouteille de champagne achetée à la même pâtisserie. Je souhaitais, au départ, la remettre à ma mère en même temps que la tarte, mais Monsieur Lapin trouvait cela présomptueux. « On ouvre le champagne pour fêter une bonne nouvelle, une victoire, tant qu’elle n’a pas dit oui, ce n’est ni l’un, ni l’autre ». Comme si ma mère pouvait lui dire non.

Ma mère l’adore. Elle m’a déjà pris des mains une assiette de lasagnes que je m’étais copieusement remplie pour lui donner. Alors, si elle dénutrie sa fille pour un type on-sait-pas-c’est-qui, c’est bien qu’il est en train de me voler ma place de fille préférée et qu’il peut lui demander ce qu’il veut, elle ne dira pas non – et qu’accessoirement, il faudrait que je le provoque en duel pour reconquérir le cœur maternel. Mais, comme il est plus fort que moi, et que l’adage dit de garder ses rivaux près de soi, il m’a semblé plus pertinent de l’épouser. Ce n’est pas que je sois jalouse. C’est que les lasagnes maternelles sont des morceaux de paradis terrestres et m’en privant, il m’a fait vivre pire que toutes les tortures réunies des sphères de l’enfer de Dante.  

Les embrassades faites, la bouteille cachée, ma mère, Monsieur Lapin et moi-même profitons de la journée. Comme j’avais peut-être un peu vendu la mèche, ma mère lance des perches plus ou moins subtiles pour permettre à Monsieur Lapin de faire sa demande. Monsieur Lapin regarde en l’air, change de sujet, prend un livre. Bref, il les évite. Ma mère en lance d’autres. Monsieur Lapin les évite toujours. Comme ils sont tous deux inépuisables, cela dure jusqu’au repas où Monsieur Lapin peut se concentrer sur son assiette qu’il badigeonne de compliments sincères. De guerre lasse, ma mère abandonne. Moi ? Je me marre.  

Puis, vient le dessert. LE moment que nous avions prévu avec Monsieur Lapin. En allant chercher la tarte, j’en profite donc pour lancer la musique sur l’enceinte. Monsieur Lapin avait pensé à Franck Sinatra. Oui, un crooner. Oui, il sait parler à ma mère. Oui, ce mariage sera une guerre sans fin pour la plus grosse part de lasagne. Non, il n’est pas sûr que je gagne. Ma mère ne s’attendant plus à rien, est étonnée.

Arme de séduction massive pour les belles-mères, toi-même tu sais
Credit : FotoshopTofs sur Pixabay

J’ai dit que Monsieur Lapin n’aimait pas exprimer ses sentiments. Il s’est longtemps creusé la tête pour savoir comment formuler sa demande sans avoir à ouvrir la bouche. Jusqu’au jour où l’idée lui vient : il allait l’écrire.

Avec Franck Sinatra en fond sonore, Monsieur Lapin sort un paquet de feuilles Canson. Sur chacune, une petite phrase. Il les fait défiler.

Je n’ai plus tout le texte en tête. De mémoire, Monsieur Lapin dit qu’il m’aime, qu’il veut s’engager plus en avant avec moi, qu’il compte m’épouser et il lui demande si elle accepte de devenir sa belle-mère.

Ma mère a les larmes aux yeux. Elle me regarde. Monsieur Lapin est ému. Il me regarde. Je trouve que je suis au centre de beaucoup trop d’attention, je regarde la tarte poire-chocolat. Sinatra s’en tape et continue de chanter.

Elle se lève, prend un stylo et écrit « oui ». Puis elle me regarde, les yeux humides. Monsieur Lapin aussi. Ils se prennent maladroitement dans les bras. Je retiens une larmichette. Quelqu’un va chercher le champagne. La bouteille fait « poc » lorsque le bouchon saute. Et Sinatra part sur une autre sérénade.

La demande à mon père

Le lendemain, ma mère, Monsieur Lapin et moi-même nous sommes rendus dans mon village d’enfance : un petit village provençal, surplombé d’une colline et d’un vieux château de pierre.

Sur le marché, Monsieur Lapin prend un bouquet de mimosas. Ce sont les fleurs préférées de mon père, à cause de leur odeur, de leur côté fleurs de jardins « sans chichi » et de leur belle couleur soleil.

Comme je n’y vais pas souvent, nous avons tourné un moment avant de trouver l’entrée. J’ai culpabilisé un peu. Culpabilité rapidement balayée par le soleil qui revient après s’être caché toute la matinée. On entend même quelques oiseaux piailler. Je retrouve cet étrange sentiment de tranquillité comme à chaque fois que je suis là. C’est sans empressement que nous déambulons entre les tombes. Du cimetière, nous voyons le château. Je sais que ça aurait plu à mon père.

Quand nous arrivons devant le caveau familial, il y a comme un moment de silence. Ma mère et moi nettoyons un peu, enlevons quelques fleurs mortes. J’aide Monsieur Lapin à disposer le mimosa. Ma mère parle de la photo sur sa plaque. Cette photo a été prise à leur mariage : « Il était si beau ». C’est vrai qu’il était beau, mon père. Je ne sais pas qui l’a photographié ce jour-là, mais ça se voyait qu’il était ému. J’espère que je trouverai ça dans le visage de mon fiancé le jour de nos épousailles.  

On se recueille en silence. J’adresse quelques pensées à cet homme du passé qui me manque, des pensées d’amour, des pensées enveloppées de cette tendresse particulière que l’on a lorsqu’on veut cacher un peu sa tristesse, mais qu’on n’y parvient pas totalement.

J’imagine que Monsieur Lapin lui formule une demande silencieuse. J’aime à imaginer que mon père donne sa bénédiction. Alors que nous quittons le cimetière. Ma mère évoque sa journée de mariage et les quelques années de bonheur partagé avec celui qui fût son mari.  


Soutenus par la bénédiction de ceux que nous aimons, il ne nous restait plus qu’à nous prononcer l’un à l’autre. Mais ça, je te le raconterai la prochaine fois.

Et vous, avez-vous souscrit à cette tradition de demandes aux parents ? Comment cela s’est passé ?

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Madame [ɑ̃]ncre
1 année il y a

J’aime tellement te lire Mademoiselle Carpe, c’est un délice pour mes yeux et pour mon coeur <3

Mademoiselle Carpe
Mademoiselle Carpe
1 année il y a
Répondre à  Madame [ɑ̃]ncre

Merci, ça me touche beaucoup. 🙂

Mademoiselle Soleil
Mademoiselle Soleil
1 année il y a

Oh que c’est beau !

Mademoiselle Carpe
Mademoiselle Carpe
1 année il y a
Répondre à  Mademoiselle Soleil

Merci ^^

Céline
Céline
1 année il y a

« Je trouve que je suis au centre de beaucoup trop d’attention, je regarde la tarte poire-chocolat. Sinatra s’en tape et continue de chanter. »
Ahaha tu m’as tuée ! Super chronique, merci <3

Mlle Carpe
Mlle Carpe
1 année il y a
Répondre à  Céline

Merci beaucoup, c’est très gentil. 🙂

Cassandre973
Cassandre973
1 année il y a

Non seulement ce que tu racontes est beau 🥰, mais tu as une vraie plume, mêlant émotions et humour. Merci d’avoir partagé ces moments.

Mlle Carpe
Mlle Carpe
1 année il y a
Répondre à  Cassandre973

Merci 🙏

J’espère que la suite te plaira tout autant !

Mademoiselle Flocon
1 année il y a

Ok, cet article est magnifique. La demande à ta maman m’a émue comme pas permis mais je dois avouer que la fin de ton article m’a fait monter les larmes aux yeux. C’est très beau 🖤

Mademoiselle Carpe
Mademoiselle Carpe
1 année il y a
Répondre à  Mademoiselle Flocon

Merci beaucoup, ça me touche ce que tu dis.

Madame Moonlight
1 année il y a

Les mamans quand elles aiment leurs gendres on passe bien après 😂
Oh j’ai versé des larmes ♥️

Mademoiselle Chocolatine Ovale

Ta chronique est tellement belle et émouvante ! Merci à toi pour avoir partagé ses si beaux moments ❤️